Réalisateurs
posté le 11/12/10

Kenji Mizoguchi (1898-1956)

 

 


 

 

Kenji Mizoguchi est né le 16 mai 1898 à Tôkyô.

 

Son père charpentier aspire à une meilleure situation. Quand le pays entre en guerre contre la Russie, il ouvre une fabrique de vêtements en caoutchouc destinés à l'armée. En 1905, la paix revenue, la famille Mizoguchi est ruinée. Elle s'installe dans le quartier d'Asakusa où l'on trouve des prostituées et des théâtres populaires. Poussé par la pauvreté, le père vend sa fille Suzu comme geisha. L'événement marque le petit Kenji.

 

 

Quartier Asakusa

 

Après les cours, il flâne dans son quartier, observe la faune des misérables et des femmes vénales, resquille dans les théâtres et s'y émerveille aux spectacles d'ombres chinoises ou aux mélodrames populaires du shimpa. Son œuvre témoignera ensuite de ces éblouissements et fascinations parfois glauques. Mizoguchi gardera toujours la nostalgie de l'ère Meiji. Il en reconstituera l'atmosphère et le particularisme dans beaucoup de ses films (meiji-mono). Son goût pour le réalisme social et son génie formel résisteront, tant bien que mal, à une plongée nationale dans le totalitarisme.

En 1921, il entre à la Nikkatsu, compagnie de cinéma fondée en 1912. Il souhaite y être acteur mais se retrouve assistant à la mise en scène. Le cinéma japonais repose alors sur les traditions théâtrales  du kabuki et les rôles des femmes y sont joués par des hommes : les oyamas.

 

Kabuki

 

Il existe cependant une tendance plus moderne. Elle s'inspire du travail de partisans du théâtre occidental, qui montent les pièces d'auteurs étrangers selon les principes du naturalisme. A 24 ans, Mizoguchi est promu réalisateur et signe "le jour où revit l'amour" (Ai ni yomigaeru hi, 1922), un film drainant tous les stéréotypes des romans populaires de l'époque. Pour lui, cette histoire d'amour contrarié n'est qu'un livret dont il exploite les thèmes qui deviendront récurrents dans son œuvre : amour et suicide, oppression de la femme, opposition des castes.

 

 

"Le jour où revit l'amour"

 

 

En 1923, il signe 10 films, dont il est parfois le scénariste. De 1924 à la fin de 1925, Mizoguchi  signe 18 films à la Nikkatsu dont "le monde ici-bas" (Jin kyo, 1924). Sa vie privée est agitée. En 1925, une prostituée lui lacère le dos à coup de rasoir. Le traumatisme de cette agression se reflètera sans son œuvre. Les femmes y brandiront souvent un rasoir ou un couteau pour se suicider, tuer ou mutiler quelqu'un, mais aucune misogynie ne se sentira chez lui. Au contraire, il est le cinéaste défenseur des femmes.

En 1926, il commence à trouver sa voie sur le plan esthétique avec "Murmure printanier d'une poupée de papier" (Kaminingyo haru no sasayaki, 1926).

 

 

"Murmure printanier d'une poupée de papier"

 

Il adapte également au cinéma une pièce kabuki "l'amour fou d'une maîtresse de chant" (Kyôren no onna shishô, 1926).

 

 

"L'amour fou d'une maîtresse de chant"

 

 

En 1927, l'ère Showa commence par une grande crise économique. Cette année-là, Mizoguchi ne réalise que deux films : "Cœur aimable" (Jihi shincho) et "La faveurimpériale" (Ko-on). La censure régnant, Mizoguchi évite d'attirer l'attention et réalise "la vie d'un homme" (Hito no issho, 1928) puis "Quelle charmante fille!" (Musume kawaiya, 1928). Si "Le soleil levant brille" est une commande pour célébrer l'anniversaire du journal quotidien Asahi, "Le pont Nihon" (Nihon bashi, 1929) renoue avec son goût pour la critique sociale. Son film suivant, "La marche de Tôkyô" (Tokyo koshin-kyoku, 1929) est une de ses rares productions muettes qui aient été sauvées. Elle met en scène une orpheline vendue comme geisha par son oncle. "La symphonie de la grande ville" (kokyogaku, 1929) renoue ensuite avec l'idéologie progressiste qui a marqué le cinéaste. L'œuvre insiste sur les conflits de classes dans le Tôkyô contemporain. Ce film jugé marxiste par les autorités militaires sera amputé. Dès 1927, la Shochiku s'essaie au film parlant. Mizoguchi réalise "Le pays natal" (Furusato) en 1930 selon ce procédé, mais ses films suivants restent muets avec accompagnements sonores. Dans la majorité des œuvres de cette période, Mizoguchi filme des histoires où apparaissent des geishas et des prostituées. Elles sont les figures centrales de ses tapisseries de lumière. Nul mieux que lui sait alors filmer la peau des femmes.

1932, dans un contexte de suspicion face au cinéma, le cinéaste accepte une commande de l'armée : "L'aube de la fondation de la Mandchourie" (Manmo kenkoku no reimei) produit par Irie Production.

 

 

"L'aube de la fondation de la Mandchourie"

 

 

Mizoguchi tournera trois autres films pour cette production : "Le fil blanc de la cascade" (Taki no shiraito, 1933),

 

 

"Le fil blanc de la cascade"

 

 

"la fête à Gion" (Gion matsuri, 1933) et "Vents sacrés" (1933).

 

 

"Vents sacrés"

 

 

 Il retourne à la Nikkatsu et y réalise un dernier film "Le col de l'amour et de la haine" (Aizo toge, 1934). Il s'associe alors à Masaichi Nagata. Pour son premier film à la Daiichi Eiga, il adapte encore un roman de Kyoka sous le titre "Osen aux cigognes de papier" (Orizuru Osen, 1934). Il ruse ensuite avec la censure dans "Oyuki la vierge" (Maria no oyuki, 1935), une adaptation de Boule de suif de Maupassant.

 

 

"Oyuki la vierge"

 

 

"Les coquelicots" (Gubijinso, 1935) confirme sa maîtrise des dispositifs du parlant. En 1936, dans  "L'élégie d'Osaka" (Naniwa erejii, 1936) il attaque l'image du père et la lâcheté des hommes.

 

 

"L'élégie d'Osaka"

 

 "Les sœurs de Gion" (Gion no kyodai, 1936) continue dans cette voie. Avec ce diptyque, Mizoguchi donne un manifeste de ce que son cinéma deviendra de plus en plus : l'expression d'un regard lucide et désespéré sur l'aliénation des femmes.

 

 

"Les soeurs de Gion"

 

 

Après la faillite de la société Nagata, il travaille à la Kinema pour qui il réalise "L'impasse de l'amour et de la haine" (Aien kyo, 1937). Il tourne ensuite "Ah! Pays natal" (Aa! Furusato, 1938) dans lequel il contourne ironiquement tous les codes imposés par la censure en jouant sur le nationalisme.

 

 

"Ah! Pays natal"

 

 Le nouveau directeur du studio lui impose de réaliser un film exaltant le patriotisme national : "le chant de la caserne" (Roci no uta, 1938). Evitant d'irriter le pouvoir en place, il se tourne alors vers la réalisation de films sur le théâtre. "Conte des chrysanthèmes tardifs" (Zangiku monogatari, 1939) ouvre ce cycle en déclinant les thèmes récurrents de son auteur. Située sous l'ère Meiji, l'œuvre est une des rares où il s'attache à la destinée d'un homme.

 

 

"Conte des chrysanthèmes tardifs"

 

Il tourne ensuite

 

 

"les femmes d'Osaka"(Naniwa onna, 1940),

 

 

"la vie d'un acteur" (Geido ichidai otoko, 1941).

 

 

Dans cette période de guerre dans laquelle les films sont de plus en plus rares (de 500 en 1940 à 67 en 1943), Mizoguchi redoute d'être mobilisé dans l'armée. Il tourne trois films. "Trois génération de Danjuro" (Danjuro sandai, 1944) reprend la série des portraits d'acteurs du kabuki,

 

 

"Trois générations de Danjuro"

 

"l'histoire de Myamoto Musashi" (Myamoto musashi, 1944) privilégie les personnages secondaires

 

 

"L'histoire de Myamoto Musashi"

 

 

et "L'excellente épée Bijomaru" (Meito bijomaru, 1945) axe l'histoire sur l'obsession d'un homme à créer une épée parfaite.

 

 

"L'excellente épée Bijomaru"

 

 

 En 1945, à la fin de la guerre, les autorités américaines interviennent dans le monde du cinéma. Mizoguchi réalise "La victoire des femmes" (Josei ni shori, 1946) sur l'émancipation de la femme.

 

 

"La victoire des femmes"

 

 Il s'interroge ensuite sur le statut de l'artiste avec "Cinq femmes autour d'Utamaro" (Utamaro o meguru gonin no onna, 1946).

 

 

"Cinq femmes autour d'Utamaro"

 

 

L'occupation du pays provoque des dérives et de la violence. Aux geishas ont succédé les filles de la rue. Mizoguchi ressent le besoin de faire une nouvelle incursion dans ce domaine pour montrer la réalité sordide de la prostitution actuelle. "Femmes de la nuit" (Yoru no onna tachi, 1948) est un film expiatoire. Il en résulte une œuvre d'une rare violence.

 

 

"Femmes de la nuit"

 

A partir des années 50, Mizoguchi va accepter des commandes dans l'espoir de pouvoir réaliser un projet qu'il poursuit depuis ses débuts : l'adaptation d'"une femme de plaisir". Il accepte donc de mettre en scène "Le destin de madame Yuki" (Yuki fujin ezu, 1950) pour la Shintoho. Celle-ci ne respectant pas sa promesse, Mizoguchi rejoint la Daiei et y adapte "Une coupe dans les roseaux" sous le titre de "Mademoiselle Oyu" (Oyu-sama, 1951).

 

"Mademoiselle Oyu"

 

Cette trilogie littéraire aux relents érotiques se termine par "La dame de Musashino" (Musashino fujin, 1951).

 

 

"La dame de Musashino"

 

 

La consécration de Kurosawa à l'étranger relance la réalisation de films historiques et laisse entrevoir une ouverture vers l'exportation. Mizoguchi peut enfin porter à l'écran "Une femme de plaisir" sous le titre de "La vie d'O-Haru, femme galante" (Saikaku ichidai onna, 1952).

 

 

"La vie d'O-haru femme galante"

 

 

Le film raconte, en flash-back, la vie d'une fille de samouraï que le destin transforme en marchandise sexuelle. Au festival de Venise en 1952, le film triomphe et partage le Lion d'argent avec "L'homme tranquille" de John Ford. Découvert par le public occidental, Mizoguchi bénéficie d'une totale liberté créatrice pour réaliser "Les contes de la lune vague après la pluie" (Ugetsu monogatari, 1953) qui va synthétiser ses recherches esthétiques.

 

 

"Les contes de la lune vague après la pluie"

 

Le réalisateur est maintenant reconnu par la critique internationale.Nagata constate que les films sur la prostitution séduisent le public national tandis que les films historiques trouvent leur audience en Europe. Il demande à Mizoguchi de travailler sur ces deux tendances. Le cinéaste tourne donc "Les musiciens de Gion" (Gion bayashi, 1953)

 

 

"Les musiciens de Gion"

 

et "une femme dont on parle" (Uwasa no onna, 1954).

 


 

 

 

Entre ces deux films sur la prostitution, Mizoguchi adapte un roman de Mori "L'intendant Sansho" (Sansho dayu, 1954). Dans ce film, il affiche un pessimisme sans résignation et dénonce les oppressions qui le révolte.

 

 

"L'intendant Sansho"

 

Ses œuvres suivantes seront moins empreintes de colère. Toujours la même année, il réaliste "Les amants crucifiés" (近松 物語, Chikamatsu monogatari, 1954), son seul film entièrement consacré à un couple partageant un amour fou dans l'adultère et la fuite.

 

 

"Les amants crucifiés"

 

En 1956, le désir de revenir à un sujet contemporain le conduit à tourner un autre film sur la prostitution "La rue de la honte" (Akasen chitai, 1956). Ce sera son dernier film.

 

 

"La rue de la honte"

 

 

Nous ne pouvons voir de l'œuvre de Mizoguchi, qu'une quarantaine de films, les autres ayant été perdus ou détruits.  

 

Mizoguchi meurt le 24 août 1956.  

 

 


 

 

Extraits Le Monde - Cahiers du Cinéma

 

 

 Citation

 

 

  "Pour moi, le problème est de savoir s'il est possible de traduire dans un film les nuances du dessin chinois, tout en lignes fines"   

 


 Croquis

 

 


 


 


 


 

 


Autres films                                                                                             

 

 Le pays natal (Furusato/ Kokyo, 1923)

Rêves de jeunesse (Seishun noyumeji, 1923)

La ruelle de la passion ardente (Joen no chimata, 1923)

 

 

Triste est la chanson des vaincus (Haizan no uta wa kanashi, 1923)

 

 

813, une aventure d'Arsène Lupin (813,  1923)


 

Le sang et l'âme (Chito rei, 1923)

 

 

Le port des brumes (Kiri no minato, 1923)


 

La nuit (Yoru, 1923)

Dans les ruines (Haikyo no naka, 1923)

Le chant du co (Toge no uta, 1923)

Le triste idiot (Kanashiki hakuchi, 1924)

La reine des temps modernes (Gendai no joo, 1924)

Les femmes sont fortes (Joseiwa tsuyochi, 1924)

A la recherche d'une dinde (Schichimencho noyukue, 1924)

Conte de la pluie fine (Samidare soshi, 1924)

 

Pas d'argent, pas de combat (Musen Fusen, 1924)


 

La femme de joie (Kanraku no onna, 1924)

La mort à l'aube (Akatsuki no shi, 1924)

La mort du policier Ito (Ito junsa no shi, 1924)

La reine du cirque (Kyokubadan no joo, 1924)

Après les années d'études (Gakuso so idete, 1925)

La plainte du lys blanc (Shirayuri wa nageku, 1925)

Le sourire de notre terre (Daichiwa hohoemu, 1925)

Au rayon du soleil couchant (Akai yuki niterasarete, 1925)

La chanson du pays natal (Furusato no uta, 1925)

L'homme (Ningen, 1925)

Croquis de rue (Gaijo no sukechi, 1925)

Histoire du général Nogi et de M. Kuma (Nogitaisho to kuma-san, 1926)

Le roi de la monnaie de cuivre (Doka-oo, 1926)

Ma faute, nouvelle version (Shin onogatsumi, 1926)

Les enfants du pays maritime (Kaikoku danji, 1926)

L'argent (Kane, 1926)

Le soleil levant brille (Asahiwa kagayaku, 1929)

Okichi l'étrangère (Tojin Okichi, 1930)

Ils avancent malgré tout (Shikamo karera wa yuku, 1931)

Le dieu gardien du temps (Toki no ujigami, 1932)

La vengeance des 47 ronins (Genroku chushingura, 1941/1942)

Le chant de la victoire (Hissho ka, 1945)

 

L'amour de l'actrice Sumako (Joyû Sumako, no Koi

 女優須磨子の恋, 1947)


 

La flamme de mon amour (Waga koi wa moenu, 我が恋は燃えぬ, 1949)


 

L'impératrice Yang-Kwei-Fei

(Yo-ki-hi, 1955)


 

 Le héros sacrilège (Shin heike manogatari, 1955)


 


 
 
 
 

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